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Grandes, petites, les Communes sont égales devant la loi.

A l’heure où se prépare en France un moment décisif de l’histoire de la République, bientôt scellé dans tous les isoloirs installés dans les mairies, écoles et autres salles des fêtes municipales, les communes sont égales devant la loi électorale.


Or, pour leur organisation, pour le fonctionnement de leurs instances ou le sort de leurs élus municipaux, notamment, il peut arriver que des règles différentes soient prévues par la loi. Ces règles ne sont pas toutes conformes à la Constitution… et certains ont cru ne pas l’imaginer.


Il n’est pas inconcevable, du reste, que des obligations légales particulières puissent peser sur les communes aux moyens importants, et non sur celles aux moyens plus modestes. Le critère retenu par la loi pour distinguer entre les communes est alors celui de l’importance de leur population, réservant aux communes peu ou très peu peuplées quelques situations moins contraignantes(1).

Le législateur a voulu faire, en 2019, quelques nouvelles distinctions. Elles sont possibles. Mais à certaines conditions.


Une protection constitutionnelle de l'égalité


L’égalité devant la loi est clairement protégée par le Préambule de la Constitution de 1958 qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’article 6 de celle-ci formule le principe : la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».


Depuis une décision du Conseil constitutionnel de 1982, il est tout aussi clair que cette protection bénéficie aux personnes physiques comme aux personnes morales parmi lesquelles les collectivités territoriales(2).


Des différences, des distinctions ? Le principe constitutionnel d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes entre collectivités territoriales, ni à ce qu’il déroge à leur égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Si la distinction que souhaite le législateur n’a pas de rapport direct avec l’objet de la mesure législative qu’il adopte, cette dernière n’est pas conforme à la Constitution. Le principe d’égalité devant la loi n’est pas respecté.

C’est ce que vient de rappeler le Conseil constitutionnel dans une décision du 6 juin 2024, rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité posée pour le compte de la Commune de La Madeleine (décision n° 2024-1094 QPC(3)).


Une question prioritaire de constitutionnalité pour l’égalité des communes devant la loi


En application de l’article 61 de la Constitution, les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel avant leur promulgation. Le Conseil constitutionnel se prononce a priori, de manière systématique ou pas selon la nature des textes qu’il est amené à examiner.


Depuis une réforme de la Constitution de juillet 2008(4), aux termes d’un nouvel article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur le renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. « Véritable 'révolution de velours’ dans notre ordre juridique », la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) représente l’essentiel de l’activité du Conseil constitutionnel, aujourd’hui(5).


C’est en statuant sur une question prioritaire de constitutionnalité qu’a été jugée la mise en cause de l’inégalité des communes devant la règle de l’article L. 2123-24-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT).


La modulation des indemnités de fonction pour défaut d’assiduité des élus municipaux


Cet article L. 2123-24-2 prévoit la possibilité de moduler les indemnités de fonction des élus municipaux, selon leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres.

Cette possibilité de modulation a été proposée pendant l’élaboration du texte de ce qui deviendra la loi « Engagement et Proximité » du 27 décembre 2019(6)). Cette modulation a été inspirée par la même mesure décidée, en 2002, pour les indemnités des membres des conseils départementaux et régionaux(7), d’abord sous la forme d’une possibilité(8) puis, en 2015, sous la forme d’une obligation(9). Une loi de 2017 l’a pareillement imposée pour les élus des communes de Paris, Lyon et Marseille(10).


Voulue « plus souple »(11) pour toutes les autres communes, en 2019, c’est donc une possibilité et non une obligation de modulation qui a été proposée et qui est toujours retenue à ce jour(12).

Elle avait été limitée dans un premier temps aux seules communes de plus de 100 000 habitants. Puis, en définitive, le seuil des 50 000 habitants et plus a été choisi pour la possibilité de moduler les indemnités de fonction des élus municipaux en fonction de leur assiduité(13).


Ainsi, dans sa rédaction décidée en 2019 (jusqu’au 5 juin 2024), le texte codifié à l’article L. 2123-24-2 du CGCT distinguait-il entre les communes selon l’importance de la population : dans des conditions fixées par leur règlement intérieur, le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal des communes de 50 000 habitants et plus alloue à ses membres peut être modulé en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres. La réduction éventuelle de ce montant ne peut dépasser, pour chacun des membres, la moitié de l'indemnité pouvant lui être allouée.


Avec près de 22 500 habitants, la Commune de La Madeleine contestait l’impossibilité de décider une telle modulation.


Le Conseil constitutionnel lui a donné raison. Quel que soit le nombre d’habitants de la commune, un conseil municipal peut décider aujourd’hui cette modulation des indemnités de fonction.


L’objet de la règle de l’article L. 2123-24-2 du CGCT est d’assurer l’assiduité des conseillers municipaux aux réunions de l’organe délibérant de la commune et des commissions dont ils sont membres. Au regard de cet objet, il n’y a pas pour le Conseil constitutionnel de différence de situation entre les communes de 50 000 habitants et plus et les autres communes. Les conseillers municipaux sont tous soumis à la même obligation de participation aux réunions des organes et commissions dont ils sont membres.


De plus, la différence de traitement entre les communes voulue par le législateur de 2019 n’était pas non plus justifiée par un motif d’intérêt général.


Il y avait donc rupture de l’égalité des communes devant la loi. Les dispositions de l’article L. 2123-24-2 du CGCT dans leur rédaction issue de la loi du 27 décembre 2019 ont été déclarées contraires à la Constitution, avec effets immédiats(14).


Grandes, petites, les Communes sont égales devant la loi.





(1) Par exemple, s’agissant de l’obligation posée par l’article L. 2121-8 du code général des collectivités territoriales (CGCT) pour les communes de 1 000 habitants et plus : leur conseil municipal est tenu d’établir un nouveau règlement intérieur dans les six mois qui suivent leur installation. Dans les communes moins peuplées, aux moyens plus modestes, il n’y a pas cette obligation (d'ailleurs très relative, le règlement intérieur précédemment adopté continuant à s'appliquer « jusqu'à l'établissement du nouveau règlement », précise le même article).

(2) Cf. cette confirmation dans la décision n° 82-138 DC du 25 février 1982, s’agissant des Régions.

(3) Décision n° 2024-1094 QPC : ICI.

(4) Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République.

(5) 80 % de l’activité du Conseil constitutionnel, précisait son Président en 2020 (« Avant-propos du Président Laurent Fabius », Titre VII [en ligne, ICI).  Hors-série, QPC 2020 : les dix ans de la question citoyenne, octobre 2020.

(6) Proposition par amendement en commission des lois au Sénat. Cf. Le rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale du Sénat sur le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique de M. Mathieu DARNAUD et Mme Françoise GATEL, Sénat, n° 12, tome I (2019-2020), 2 octobre 2019, nouvel article 28 bis.

(7) Cf. Les articles L. 3123-16 et L. 4135-16 du code général des collectivités territoriales.

(8) Loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, article 83.

(9) Loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice, par les élus locaux, de leur mandat, article 4.

(10) Loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, article 5.

(11) Cf. Note 5.

(12) La même possibilité pour les établissements publics de coopération intercommunale de moduler les indemnités de leurs membres en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions de commission a été prévue au cours de la même discussion parlementaire du texte de la loi « Engagement et Proximité ». D’abord avec le critère de l’importance de la population fixé à 100 000 habitants et plus (nouvel article 28 ter du texte discuté), puis, avec le seuil de 50 000 habitants et plus, en définitive (article 95, dans le texte de loi promulgué) et codifié à l’article L. 5211-12-2 du CGCT. Même motivation des auteurs des amendements successifs et des parlementaires qui les ont adoptés d’assurer l’assiduité des membres des EPCI aux réunions de leur organe délibérant, probable même absence de différence de situation entre les EPCI de 50 000 habitants et plus et les autres EPCI, même probable absence de justification d’un éventuel motif d’intérêt général pour la distinction décidée. La conformité à la constitution de la distinction prévue par l’article L. 5211-12-2 du CGCT est douteuse.

(13) Proposition d’une seuil à 50 000 habitants par un amendement adopté, cette fois, à l’Assemblée nationale (cf. La note 5) ; Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale sur le projet de loi adopté par le Sénat relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique de M. Bruno QUESTEL, Assemblée nationale, n° 2357, 7 novembre 2019, nouvel article 28 bis.

(14) Le texte en vigueur de l’article L. 2123-24-2 du CGCT après la décision du Conseil constitutionnel n° 2024-1094 QPC : « Dans des conditions fixées par leur règlement intérieur, le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal alloue à ses membres peut être modulé en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres. La réduction éventuelle de ce montant ne peut dépasser, pour chacun des membres, la moitié de l'indemnité pouvant lui être allouée. »

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